Violence et non-violence en éducation : des ressources (2, les pédagogues)

Pour réfléchir à la violence en éducation, rien de tel que lire les pédagogues. Les pédagogues nécessitent une lecture approfondie, articulant histoire et pratiques ; mais même avec peu de temps, il est possible de repérer quelques principes essentiels pour réfléchir et agir au quotidien.

Célestin Freinet a écrit une suite de principes, « Les invariants pédagogiques » – remarquons qu’il place en en-tête une citation de Maria Montessori (« Voici les lois de la vie ; on ne peut pas les ignorer ; et il faut agir en conformité de ces lois ; c’est dans ce but que nous les indiquons, ajoutées aux Droits de l’Homme, qui sont communs à l’Humanité »). Il s’agit de valeurs essentielles, « d’invariants », c’est-à-dire « ce qui ne varie pas et ne peut pas varier, sous n’importe quelle latitude, chez n’importe quel peuple »)

On y trouve notamment l’idée essentielle que « l’enfant est de même nature que nous » (invariant n°1), donc souffre, pâtit, ressent comme un adulte, même s’il possède des rythmes, une inexpérience mais aussi une puissance de vie plus grande que l’adulte. C’est un point qui me semble essentiel pour fonder l’interdit de la violence. On y trouve également que « Le comportement scolaire d’un enfant est fonction de son état physiologique, organique et constitutionnel » (invariant n°3), c’est-à-dire qu’il existe des explications à un comportement – chaque comportement n’est pas nécessairement justifié, mais explicable. Freinet rappelle également que, tout comme un adulte, un enfant n’aime pas être commandé d’autorité, être passif, être contraint à un travail non choisi. Ces invariants peuvent constituer une bonne lecture pour les enseignants désireux de réfléchir au respect de l’enfance dans leurs classes.

Un pédagogue incontournable sur ces questions est sans conteste Janusz Korczak. Le Droit de l’enfant au respect est un texte, très aisé à lire, qui permet aux adultes de réfléchir sur certaines évidences pratiques. En voici un extrait : 

« L’enfant est rendu responsable de tout ce qui nuit à notre quiétude, à notre ambition, à notre confort ; de tout ce qui nous irrite ou nous met en colère, de tout ce qui bouscule nos habitudes ou absorbe notre temps. De plus, nous n’envisageons pas que l’enfant puisse commettre des écarts sans mauvaise volonté. Si l’enfant ne sait pas, s’il n’a pas bien entendu, n’a pas compris, a déformé des propos, s’il s’est trompé, a échoué, n’a pu accomplir une tâche, c’est sa faute! Si l’enfant est en situation d’échec ou de mal être, c’est encore sa faute. Si l’enfant ne fait pas les choses comme nous les entendons, s’il est maladroit, c’est, selon nous, de la négligence, de la paresse, de l’étourderie, de la mauvaise volonté. Si l’enfant n’obéit pas à un ordre humiliant et irréalisable : c’est toujours sa faute (…). « Tu vois, quand tu veux… » ». 

Enfin, l’ouvrage de Maria Montessori L’enfant permet d’approfondir encore cette question. Le livre présente la pensée spécifique montessorienne, mais les premières pages (« la question sociale de l’enfant ») sont plus génériques, et peuvent encore parler à notre époque, en dépit de la modification de la place de l’enfant dans nos sociétés. La pédagogue décrit l’enfant comme un « dérangeur » dans le monde des adultes, monde inadapté non seulement à ses besoins, mais à sa présence même. Il faut sans doute ici comprendre le propos philosophique de fond : l’enfant empêche l’adulte de « dormir », dit Maria Montessori, le pousse à se décentrer, à s’interroger sur les raisons profondes de l’autre (mais pourquoi donc cet enfant agit-il ainsi ?), à s’ouvrir à l’altérité – le contraire de la violence. Voici également un extrait :

« Il n’y a pas un refuge où l’enfant puisse sentir que son âme sera comprise, où son activité pourra s’exercer. Il faut qu’il reste tranquille, qu’il se taise, qu’il ne touche à rien parce que rien n’est à lui. (…) L’adulte, par un phénomène psychique mystérieux, a oublié de préparer une ambiance pour son enfant. Dans l’organisation sociale, il a oublié son fils. Dans l’élaboration des lois successives il a laissé son propre héritier sans lois et par conséquent, hors de la loi. Il l’a abandonné sans direction à l’instinct de tyrannie qui existe au fond de chaque coeur d’adulte ».

Le prochain post sur cette question s’attardera sur la violence éducative du point de vue de la recherche. 

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